Je travaillais et retravaillais le fond de mon tableau pour poser la base de celui-ci. Je ne parvenais pas à obtenir la même facture graphique que pour les 12 précédents tableaux de la série des "Anagogies". Résigné à ne pas parvenir à mes fins, je laissais ce 13ème tableau de côté, sans plus chercher à retoucher le fond.

Lorsque je commençais à travailler sur un tableau nouveau et que je ne parvenais pas à obtenir  les effets de matières et la structure graphique que je recherchais, je mettais ce tableau de côté dans mon atelier, bien en évidence pour l’avoir sous l’œil en permanence.

A force de passer devant tous les jours, même en le regardant ne serait-ce que quelques secondes, je finirais bien par y voir ce qui veut se révéler à moi, et que je ne suis pas en mesure de voir pour l’instant. Je dois me donner le temps de me détacher de la première idée sur laquelle j’étais parti pour faire ce tableau, afin d’avoir un regard neuf pour le regarder et y voir ce qui devrait m’inspirer pour continuer à le travailler.

 J’ai toujours réalisé mes tableaux sans esquisse préparatoire. Je sens que tout est déjà en moi, comme un trop plein d’émotions, une ébullition de sensations. Mes tableaux sont comme des chrysalides qui ont eu le temps de murir en moi. Et puis vient le temps où ces chrysalides vont éclore ; là je me sens prêt à peindre. Alors je me mets à la tâche, je peins. Au fur et à mesure que je mélange ma peinture et ma matière (le sable ou la terre) à la spatule ou au couteau sur mon support, il se dessine une dynamique graphique, des espaces pleins, des espaces vides, des formes apparaissent…….et c’est cette base qui me guide pour construire mon tableau. Il y a un échange constant entre ce qui dessine sur mon tableau et comment je ressens ce qui se révèle sous mes yeux. Je travaille mon tableau jusqu’à ce que je ressente un équilibre harmonieux entre ce que je perçois sur le tableau et ce que je ressens émotionnellement. Lorsque cet équilibre est atteint et que je sens que ce que je vois visuellement et que ce que je ressens émotionnellement correspond et fusionne, je sais que mon tableau est terminé.

 

Tout cela je ne le ressentais pas lorsque je commençai à travailler le fond de ma 13ème "Anagogies". Je devais accepter que je n’étais pas en phase, émotionnellement, avec ce 13ème tableau et qu’il me faillait faire une pause, afin de prendre le recul et le temps nécessaire pour l’observer,  puis comprendre ce que je devais y percevoir pour en continuer sa réalisation et le terminer. Au bout d’une semaine, à force de passer devant ce tableau, de le regarder, même brièvement, enfin, ce que je devais y voir m’apparut nettement.  Dans ce mélange de peinture et de sable grattés au couteau, m’apparut un long trait qui cheminait de la gauche du tableau vers sa droite, en montant légèrement jusqu’à un petit relief sur lequel se dressait un crucifix. Et à cet instant le "flash" ; enfin la réponse à ma question « qu’allais-je faire de ce tableau » !? Laquelle me tenait en haleine depuis une semaine. J’allais entreprendre la réalisation d’un chemin de croix. Cela m’apparaissait tout à coup comme une évidence, sans même y avoir pensé auparavant.

Par la suite je comprendrai que quelque chose qui me dépassait, m’amenait simplement à l’épreuve par laquelle je devais passer pour me retrouver. Et c’est là que prend pour moi tout le sens de cette pensée de Martin Heidegger ; « l’artiste doit se mettre à l‘unisson de ce qui veut se révéler à travers lui ».

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