Ce thème du chemin de croix a été beaucoup travaillé et repris mainte fois depuis des siècles. Je peins dans un style abstrait et je ne me voyais pas passer à un style figuratif pour réaliser ce travail. Je ne voyais pas l’intérêt, non plus, qu’il y aurait à refaire une énième représentation figurative sur ce thème. Et n’ayant pas encore lu la bible à ce moment là, je ne me sentais pas légitime pour traiter ce sujet de manière biblique.

Alors j’oubliais l’aspect figuratif et biblique, et m’interrogeais sur quelle base partir pour le traiter de façon abstraite et graphique.

L’idée me vint d’aborder le sujet par l’émotion et non par la représentation ; Jésus était un être humain. Et lorsque l’on nous parle du chemin de croix, on ne parle pas de ce qu’il a pu ressentir mais de ce qu’il représente et ce que représente la crucifixion en tant que symbole religieux, et il me semble que l’on a mis en avant ces 14 stations telles que nous les rapporte la Bible, pour leur message et leur symbolique chrétienne. Mais qu’a ressenti Jésus dans les étapes les plus douloureuses de cette épreuve ? Certes je ne peux pas me mettre à sa place…..et essayer d’imaginer est toujours bien éloigné de la réalité du vécu. Mais je pense qu’en se concentrant sur nos propres connaissances sensorielles personnelles nous pouvons facilement ressentir la souffrance d’une autre personne, même sans vivre sa propre expérience…nous ne la sentirons pas sensoriellement à cent pour cent, mais nous pouvons nous en approcher.

« Qu’est-ce que je ressens » ? Et  non « qu’est-ce que je vois » ?

Vivre le chemin de croix en le ressentant et non en le regardant. Qu’a pu ressentir Jésus, humainement, émotionnellement entre l’instant de son arrestation, sa mort sur la croix et sa délivrance ? Après réflexion et méditation, je pris le parti de faire ce "chemin de croix" en sept tableaux de format 100cm x 140cm et je les intitulerai :

Corpus Christi - fragment I ;  l’Isolement

Corpus Christi - fragment II ;  l’Affliction

Corpus Christi - fragment III ;  la Déchirure

Corpus Christi - fragment IV ;  l’Épanchement

Corpus Christi - fragment V ;  le Renoncement

Corpus Christi - fragment VI ;  l’Élévation

Corpus Christi - fragment VII ;  le Silence, l’Épanouissement

 

Et ce chiffre sept convenait très bien pour ce sujet, parce que, je cite : « quand le nombre sept est employé dans un sens symbolique, c'est toujours en rapport avec des choses spirituelles ou célestes et il représente la plénitude spirituelle (Lév. 4: 6; Héb. 24­26) ou que les choses sont pleinement accomplies du point de vue de Dieu. »

A travers ces sept tableaux, je me suis fixé comme dessin d’exprimer la notion d’isolement, de rejet, de souffrance, de violence, et puis de détachement, d’élévation, de libération (voyant la mort, dans ce contexte, comme une libération et la fin d’une souffrance morale et physique des plus violentes).

 

J’ai traité ces tableaux en noir et blanc en écho aux motifs de l’arrestation de Jésus, lesquels me semblent manichéens et représentatifs de l’inertie spirituelle et intellectuelle de dirigeants religieux traditionalistes qui se complaisent dans une position de pouvoir et de savoir élitiste. Et lesquels ne tolèrent aucune nuance, ni aucune évolution qui s’écarteraient de la gnose qu’ils suivent et imposent comme seule et unique base de leur croyance ; donc tout est noir ou blanc. Il n’y pas d’espace pour une ouverture d’idées ou de pensées ou de liberté de croire ou de pratiquer sa croyance autrement.

 

Je répète souvent la forme géométrique du rectangle dans la composition des tableaux. Ce rectangle symbolise la règle, la norme, le cadre établi et dont il ne faut pas s’écarter. Ce cadre établi qui limite, oppresse la liberté d’être, de penser, d’agir et par conséquent d’évoluer, de s’ouvrir et de s’enrichir culturellement, humainement, et spirituellement …….bref ; de prendre conscience de soi et de tous les possibles pour s’élever humainement et spirituellement.  C’est au nom de ce cadre établi (la règle, la norme, la gnose) et par ceux qui en ont pouvoir et contrôle que Jésus sera condamné à mort, parce que ses croyances et sa liberté d’être dérangent le cadre établi et le pouvoir qu’il confère à ceux qui le contrôlent et l’enseignent.

 

J’ai intégré aux tableaux du sable associé avec de la peinture noire grattée et hachurée, pour son aspect rugueux, érosif, agressif. Une manière graphique de traduire la violence, l’âpreté, l’agressivité, la douleur, les écorchures. Et en opposition le sable associé à de la peinture blanche/gris-perle mélangée avec du plâtre en poudre pour conférer un aspect graphique plus doux, plus léger (traduire la nature de l’état d’être profondément spirituel et généreux de Jésus, sa liberté et l’ouverture de son champs de conscience).

 

Et afin de traduire les écorchures, les plaies, les tortures et les violences physiques de la crucifixion ; la couleur rouge sang. Et quoi de mieux pour traduire cette couleur que le sang lui-même.

 

Ce polyptyque "Corpus Christi" met en avant cette dualité entre le cadre défini et établi, et la liberté d’être et de croire différemment réprimée. Et plus jésus avance sur son chemin de croix, plus il se détache et s’éloigne en conscience du cadre défini et établi qui le condamna, plus il s’élève spirituellement et plus il gagne sa liberté d’être qui le conduit, dans l’acte de sa mort, vers une pleine conscience élevée de la Connaissance et de la Vérité.

 

Corpus Christi - fragment I ;  l’Isolement : L’arrestation, le rejet et la condamnation de ses actes par les siens (il chassa les vendeurs du temple, il dérangeait les règles traditionnelles établies et défendues par les rabbins, les "gardiens du temple"),

Corpus Christi - fragment II ;  l’Affliction : Le jugement pour blasphémassions (il se dit être le fils de Dieu). Incompréhension du rejet de certains des siens, de leur refus de la vérité qu’il leurs apporte. Souffrance morale et psychologique.

Corpus Christi - fragment III ;  la Déchirure : Sa condamnation à être flagellé et les tortures qu’il subira. Être condamné pour avoir exprimé sa foi différemment, pour vouloir la partager et cela « déranger l’ordre établi ».

Corpus Christi - fragment IV ;  l’Épanchement : Le port de la croix jusque sur le mont Golgotha. Son cœur saigne, ses plaies saignent, mais il se résigne à accepter car il sait la vérité.

Corpus Christi - fragment V ;  le Renoncement : La scène où il est crucifié, où il douta un instant de Dieu…où il comprend que quitter ce corps, que quitter la matière n’est pas la Fin……que la mort n’est qu’une expérience de plus pour l’âme, qu’elle n’est qu’un instant, un passage, une ouverture vers Dieu ; un retour à la Source.

Corpus Christi - fragment VI ;  l’Élévation : Sa mort imminente, la libération de son esprit (Âme/conscience) qui se détache. Le début de la libération de l’âme ; la libération de l’enveloppe physique, mais aussi la libération de toute structure mentale, de tout carcan idéologique et sectaire…..de toute structure de pensée dans laquelle nous enferme tout système de croyance quel qu’il soit.

Corpus Christi - fragment VII ;  le Silence, l’Épanouissement : Dans la Lumière, vers une pleine conscience élevée de la Connaissance et de la Vérité.

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