J’ai réalisé les "Anagogies ; Matières, Écritures, Couleurs" durant le premier trimestre 1997. Ce sont douze tableaux de formats identiques ; 100cm x 140cm. Pistes de réflexions :

 

Laisser une trace, une écriture, détourner le matériau de sa fonction première, le métamorphoser sous l’impulsion du sentiment.

 

Saisir l’instant émotionnel et sensoriel ; cette dimension abstraite qui nous lie au monde matériel mais aussi nous en sépare pour mieux nous en faire prendre conscience.

 

Dépasser cette dimension abstraite pour ne faire qu’un avec la matière, ressentir sa propre vibration et se l’attribuer comme émotion. Redonner à la matière sa dimension sacrée à travers l’interaction des couleurs et la vibration physique des matériaux.

 

Créer un espace graphique intemporel dans lequel il n’y a ni commencement ni fin ; union du fini et de l’infini, y chercher la lumière, l’énergie et enfin, y puiser sa propre spiritualité afin de la laisser s’exprimer.

 

Partir de la matière, creuser l’épaisseur pour trouver la lumière, afin de se détacher de la première pour mieux s’élever.

 

Aller dans l’ombre pour y chercher les couleurs et les exprimer avec toute la poésie qui ne se dévoile pas avec des mots.

 

Mémoire de l’indicible…….

 

Langage des secrets enfouis…..

 

 

L’anagogie (du grec anagogikos élévation) est une notion ascétique qui désigne l'élévation de l'âme vers les choses célestes, et en théologie l'interprétation d'un texte qui cherche à passer du sens littéral vers un sens spirituel ou mystique. On parle aussi pour ce procédé d'anagogisme.

 

Je constatai lors de la réalisation de mes premiers tableaux en noir, blanc et gris, que lorsque je peignais, j’avais une grande facilité à m’extraire de tout ce qui m’environnait. J’étais tellement absorbé par l’acte de peindre que j’avais l’impression d’être ailleurs, comme hors du temps présent. Il  arriva que le téléphone sonna lorsque que je peignais, et que je ne l’entendis pas, alors que j’étais dans la même pièce. Et je comprenais que quelqu’un avait essayé de me joindre lorsque je découvrais le message sur mon répondeur, à la fin de ma journée.

 

Petit à petit, je pris conscience que l’acte de peindre me mettais dans une sorte de "transe paisible" par laquelle j’accédais à une autre dimension temporelle. En effet, tout en étant physiquement en train de peindre, je me sentais dans un état d’être hyper-sensible et hyper-réceptif à toute autre chose que le simple acte de peindre. C’est comme si le tableau et moi-même étions en dialogue permanent dans une bulle, protégés de tous bruits extérieurs qui pourraient venir parasiter cet échange émotionnel…….et je me sentais comme un canal énergétique qui captait, malgré moi, des messages sensoriels extérieurs à ma réalité matérielle.

 

Suite à ce constat j’ai souhaité alors modifier mon processus créatif en utilisant d’avantage ma capacité à ressentir et en plaçant la matière au centre de mon travail, d’autant plus que j’utilisais celle-ci depuis mes tous premiers tableaux. Mais jusque là (de 1989 à 1996) je l’intégrais à mes tableaux  pour apporter du volume, du relief et un aspect graphique. J’allais utiliser les matières pour leurs qualités propres de sorte que celles-ci deviennent l’identité graphique même du tableau.

 

Quels rapports émotionnels aurai-je avec les matériaux que j’utiliserai ; comment les ressentirai-je par rapport à leur texture, leur couleur, leur odeur, leur aspect visuel ? Choisir de réaliser ces tableaux en me laissant guider sensoriellement par tous mes sens en interactivité avec les qualités propres de ces matériaux (sables neutres ou colorés naturels, terres, plâtre en poudre, sciure de bois, morceaux de bois, papiers variés unis ou imprimés, métaux rouillés ou non,  résines d’encens, peinture glycéro, pastels gras ou secs, brou de noix,…….). Atteindre une sorte d’extase sensorielle et profiter de cet état d’être pour réaliser les "Anagogies".

 

Célébrer la matière dans des tableaux qui ne pourraient parler au spectateur qu’à travers leurs sens même, sans passer par l’évocation figurative, laquelle pourrait renvoyer à un souvenir personnel en faisant référence à une image réaliste (comme le ferait une nature morte, un paysage, ou un portrait). Toucher les sens à travers un univers de matières, de couleurs et de graphismes et amener le spectateur à un voyage sensoriel intérieur pour ressentir l’émotion de l’instant présent ; être ici et maintenant dans un état émotionnel spontané et en prendre conscience.

Retour à la page précédente.